« Ce n’était pas mieux avant, mais aujourd’hui c’est pire ! »

Question 02
M&Y d.F : Parles-nous de ton expérience face à l’institution scolaire et universitaire. De mémoire tu nous avais raconté lors d’une soirée tes rapports ambigus avec des professeurs, que tu qualifiais de Staliniens ou plutôt de Crypto-Staliniens, se réclamant du mouvement « Supports surface ». Tu avais insisté sur le fait que non seulement ils ne te comprenaient pas mais qu’en plus ils t’avaient pourri tes premières années d’étudiant jusqu’à l’arrivée de Joël comme professeur dans cette école ?
Tu viens de faire référence à ton diplôme des beaux-arts obtenu à l’école de Caen. Peux-tu en parler plus longuement, le décrire dans tous ses détails et nous expliquer tes états d’âme de l’époque.

2-E--interview-Leforestier-05-08-2013

Coutances 02 août 2013

2-R--interview-Leforestier-02-08-2013-1-4L’institution scolaire, ce véritable moule à beaufs intégrables et cette broyeuse de la différence, fut pour moi un véritable chemin de croix parsemé d’embûches réelles et de chausse-trapes vicieuses, un véritable parcours du combattant non volontaire que j’étais, dans lequel j’ai appris à mes dépens l’ennui de l’ennui, ainsi que l’impossibilité de m’adapter aux règles de la norme imposée, et où j’ai connu mes toutes premières désillusions dans ce triste monde des réalités ! A l’école je n’ai jamais trouvé ma place…
Alors pour tenir dans cet environnement hostile, je me suis fait rebelle docile et poli, donnant l’image d’un élève laborieux, mais bien élevé qui faisait tout ce qu’il pouvait pour essayer de réussir, alors qu’en réalité j’étais entré en clandestinité intérieure dans laquelle je pouvais rêver à toute autre chose, sans faire de bruit, j’étais devenu totalement hermétique à l’enseignement officiel.
A la vue de mes médiocres résultats, l’institution et ses sbires zélés m’orientèrent vers une filière manuelle non choisie pour y passer un C.A.P de dessinateur industriel que j’ai obtenu par miracle et surtout grâce à l’aide et la solidarité de mes camarades plus doués et motivés que moi !
C’est vous dire que tout comme le communisme et son paradis des travailleurs, mon bilan scolaire était globalement négatif et dans ce bas monde des tristes et dures réalités dans lequel je n’avais pas encore trouvé ma véritable place, mon avenir de futur suicidé m’était grand ouvert !
Mais c’était sans compter avec la rencontre salvatrice d’un jeune maître auxiliaire diplômé des Beaux-Arts qui, voyant que j’aimais ses cours et que mes résultats « artistiques » n’étaient pas mauvais, me conseilla de tenter le concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts qui à l’époque était encore ouvert aux impétrants avec le niveau B.E.P.C. !
Alors avec le soutien total de ma mère, j’ai passé ce concours qui grâce à la bonté, l’indulgence et la compréhension de certains membres du jury, m’ouvrit les portes des Beaux -Arts pour que commence la grande aventure…

2-R--interview-Leforestier-02-08-2013-2-4.jpg« A la découverte d’un monde inconnu. »
A l’école des Beaux-Arts, j’entrais en terre inconnue, moi qui venait d’un monde ouvrier où l’art n’était ni une priorité, ni une connaissance intime, mais un vide qui n’empêchait pas de vivre heureux dans cette culture ouvrière venant de mes parents. Je ne veux pas faire dans le cliché de la lutte des classes, mais pour ce qui était de la culture de l’art j’étais quasiment vierge, mais non marri et ne demandais qu’à apprendre…
Alors avec la meilleure des volontés du volontaire, je partais la fleur au fusil à la conquête de ce monde inconnu de l’art qui, en l’occurrence, était bien poussiéreux et figé dans le temps d’avant sentant bon la térébenthine et la peinture à l’huile, mais dans lequel j’ai appris les bases anciennes auprès de veux professeurs artistes fonctionnaires totalement dépassés, une vieille garde sclérosée mais sympathique. Je garde un souvenir tendre de ces deux années un peu potaches qui m’ouvraient les portes du deuxième cycle…
1976, révolution culturelle aux Beaux-Arts de Caen ! C’est le débarquement tonitruant des jeunes avant-gardistes aux dents longues de l’art contemporain fonctionnarisé pour la bonne cause qui vont faire table rase du passé dépassé ! L’heure des purges est arrivée ! Alors fini le vieil art mort totalement ringardisé ! Place à « Support Surface » qui arrive avec la vérité des convaincus qui ne doutent jamais ! C’est la libération des masses abruties qu’il faut remettre sur la bonne voie, de gré ou de force ! Maintenant c’est peinture analytique à tous les étages ! Le chiant se fait Art Officiel obligatoire à enseigner dans toutes les bonnes écoles des nouveaux Beaux-Arts !!!!
Alors, par cette terreur artistique imposée, me voilà embarqué de force sur ce « Potemkine » de bla-bla-bla analytiques commandé par de petits timoniers bornés et intolérants, mais bientôt amers déchaînés.

2-R--interview-Leforestier-02-08-2013-3-4« Première révolte au grand jour ! »
« Viallat, nous voilà avec notre cargaison de petits jeunes convertis remis dans le droit chemin de la seule, de l’unique et de la vraie création de la petite subversion subventionnée de l’art contemporain officiel » (de l’époque bien sûr !).
Un an de galère à ramer dans le sens du courant à en perdre âme et personnalité, suivisme moutonnier, posture d’imposture, on avance masqué. Dégoût des couleuvres à avaler. Bordel ! Il faut quitter le bateau ! C’est le sauvetage salutaire et salvateur par la mutinerie aux éclats vengeurs ! C’est l’entrée dans la dissidence contemporaine, quitte à devenir un béni-oui-oui ! De plus, je ne suis pas seul, d’autres « pommes pourries (terme employé pour désigner les dissidents par le professeur de « Support-surface) » y sont aussi… « Pas vrai Jean-LucAndré ? »
Alors faisons ce que nous voulons faire contre vents mauvais et marées version tempête, face aux foudres de guerre déclarée des intolérants crypto-Staliniens du pinceau et de la folie libre ! (Mais qui se souvient de « Support Surface » ???)
Première révolte au grand jour ! Ostracisme temporaire assuré ! Traversée obligatoire du
désert de l’incompréhension ! Les comptes, un jour, seront à régler et l’addition des rancunes sera lourde ! (Je ne pourrais pas payer et n’aurais pas mon diplôme du premier coup ! Défait dans la défaite, un membre du jury me dit de persévérer…)
Mais miracle ! Un génial capitaine corsaire allié au soutien indéfectible est arrivé pour renverser la table de l’ordre établie, et pour changer l’air du temps vicié. Je veux citer le grand artiste Joël Hubaut, l’ami depuis 1977 qui fit une révolution libertaire dans laquelle nous pouvions librement nous exprimer…

2-R--interview-Leforestier-03-08-2013-4-4« Plus rien à perdre, mais tout à gagner ! »
Rennes, juin 1980, l’ultime tentative pour décrocher ce sacré D.N.S.E.P. qui à mes yeux, me donnerait toute légitimité pour continuer mon combat de Franc-Tireur et artiste singulier en toute liberté !
Alors, remonté à bloc, avec une volonté farouche d’en découdre et prêt à vendre chèrement ma peau, je transformais mon stand tir à vue en une chambre d’enfant, avec papier peint aux murs, sur lesquels j’accrochais des dizaines et des dizaines de sous-verres de mon travail, une étagère avec de petits volumes créés, des jouets militaires d’enfant, ainsi qu’un tourne-disque avec marches militaires et un drapeau tricolore ! En sorte une véritable installation dont le titre était « Enfant je voulais devenir militaire ».
Revêtu d’un imperméable militaire américain et coiffé d’un casque allemand, j’étais fin prêt pour l’assaut final, façon performance Kamikaze, au son du clairon et de la « Marseillaise » qui sur ordre du président du jury, fit mettre au garde-à-vous l’ensemble des examinateurs, en tant que représentants de l’état ! Déjà une petite complicité s’installait avec ce cher homme sensible et plein d’humour. Mais rien n’était gagné et les premières salves tueuses et inquisitrices étaient tirées par des observateurs hostiles car décontenancés par les choses présentées !
Alors il fallut défendre pied à pied, argumenter, expliquer, justifier dans un véritable corps à corps où j’étais seul contre un jury ! Ce n’était pas une mise à mort, mais une espèce d’interrogatoire très musclé, ils faisaient leur boulot, moi je me défendais avec la plus grande des sincérités. C’est alors que le président Bonnier me prit pardessus l’épaule et me raconta une anecdote touchante datant de son enfance pendant la guerre, et présenta aux autres examinateurs des travaux avec textes qu’il aimait, me demandant si je connaissais je ne sais plus quel poème d’Arthur Rimbaud, lui répondant par la négative, il me conseilla à l’avenir de continuer à écrire…Chose que je fais toujours aujourd’hui dans mon travail ou l’écriture tient une place essentielle.
Voilà comment j’ai obtenu mon diplôme de haute lutte, et ce jour de juin fut pour moi l’une de mes plus belles victoires ! J’étais heureux pour moi, pour ma mère et tous ceux qui m’avaient soutenu. Maintenant, je me sentais légitime et libre d’entrer dans la carrière que je n’ai jamais quittée et que je ne quitterais jamais ! Je suis artiste jusqu’à la mort ! Mon travail me rend libre, je lui dois tout ! Je lui donne tout ! Alors vive l’ART TOTAL !

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